Parmi les nombreux points clés en aquaponie, la maîtrise thermique est certainement l’un des plus importants. Elle repose essentiellement sur la conception du système. Une bonne isolation, un niveau constant, un ensemble compact, et ponctuellement, un groupe froid et une résistance chauffante constituent le niveau de base « passe partout » permettant d’élever les salmonidés dans son jardin toute l’année. Pour réduire l’utilisation du groupe froid et de la résistance chauffante, voire les supprimer complètement, des aménagements du système sont possibles. Voici un retour d’expérience à partir d’un test sur un bassin de 500 litres (TA-500) en 2021.
Quelques aspects théoriques pour comprendre les leviers de la maîtrise thermique en aquaponie
La température de l’eau, indicateur d’état du système
La température mesure le degré d’agitation des particules (atomes ou molécules) constituant un objet. Plus elles sont agitées, plus la température est élevée et inversement. La température est mesurée avec un thermomètre. Trois échelles sont usuelles : les degrés Celsius, les degrés Fahrenheit et les Kelvins. L’utilisation de capteurs électroniques, type DS18B20, nécessite un étalonnage avec de la glace fondante pour chaque sonde afin de déterminer la correction de la mesure à appliquer. En aquaponie, c’est la température de l’eau qui décrit le mieux l’équilibre thermique du système.
Energie nécessaire pour élever la température de l’eau
Un transfert thermique est un échange d’énergie thermique (ou chaleur) ayant uniquement lieu d’une source chaude vers une source froide. Celui-ci peut prendre plusieurs formes pouvant coexister :
- la conduction impliquant des objets en contact sans mouvement de matière ;
- la convection liée au mouvement de fluides (gaz ou liquide) ;
- le rayonnement correspondant à la propagation de photons provenant d’objets éloignés.
Par exemple, lors de l’évaporation de l’eau, cette dernière puise l’énergie thermique nécessaire à sa transformation physique dans son environnement par conduction, convection ou rayonnement. La quantité de chaleur Q échangée pour réaliser ce changement d’état s’exprime en joules (J). Il faut 4,18 J pour élever un gramme d’eau d’un degré Celsius.
Application :
750 000 g d’eau (750 litres) passent de 18°C à 19°C en 8 heures en recevant une chaleur Q = 3135000 J, soit un flux thermique ou puissance thermique de 109 watts (J/s).
Donnée : 3600 J en une heure correspondent à 1 W.h.
Bilan thermique des eaux dans une installation aquaponique
Les principaux échanges thermiques dans une installation aquaponique concernent en premier l’apport solaire (Qs) par rayonnement. Puis viennent les pertes lors de l’évaporation (Qe), les échanges par conduction-convection entre bassin ou bac et le sol (Qcd), et les échanges par convection entre l’eau et l’air (Qcv). Enfin les échanges par rayonnement infrarouge avec le ciel profond ou les objets environnants (Qi).
A titre d’exemple, voir une publication scientifique traitant de la simulation de l’évolution de la température de l’eau d’une rivière pages 35 à 40
Les ajustements possibles pour la maîtrise thermique des systèmes aquaponiques.
Le modèle de départ est un bassin de 500 litres de 90 cm de profondeur et un bac de culture de 500 litres sur 2 m2 , à niveau constant, hors-sol, totalement isolé. Cette base, dotée d’un refroidisseur et d’une résistance chauffante permet de maintenir la truite toute l’année. Voyons quels aménagements peuvent permettre de faire l’impasse sur le refroidisseur et la résistance chauffante.
Maximiser les transferts d’énergie par conduction, entre le sol et les bacs et bassins
La température du sol varie selon la profondeur et selon les saisons . A 0.75 m de profondeur les variations de températures s’inscrivent dans une fourchette 4° – 18° C
Premier aménagement pour la maîtrise thermique : l’enfouissement total des bassins et bacs de culture, en optant si possible pour des bassins ayant une profondeur > 1 m. Ce faisant, le dénivelé entre surface du bassin et point d’injection dans le bac de culture peut être réduit au minimum (une vingtaine de cm). Cela permet d’opter pour une circulation d’eau par airlift exhausteur avec une seule pompe à air. Ce qui a pour conséquence d’exclure l’utilisation d’un filtre à pression… mais ce qui augmente la capacité à saturer l’eau en O2 avec un débit d’air réel en fond de bassin de 2000 litres par m3 d’eau. Et donc de pouvoir tutoyer, sans mortalité, les températures létales pour les salmonidés (page 2 : truite arc en ciel 27°; truite fario 26°; omble de fontaine 23°).
Diminuer le flux énergétique solaire en été
Second aménagement pour la maîtrise thermique : supprimer ou diminuer toute exposition directe au flux d’énergie solaire. Placer un écran polycarbonate 16 mm blanchi au blanc d’Espagne au dessus de la zone de culture. Installer une couverture totale isolante sur les filtres, le bassin à truite et les tuyaux apparents. Et enfin, maintenir une couverture totale du bac de culture avec 5 cm de mousse naturelle répartie entre les légumes selon les besoins.
Maximiser le transfert d’énergie par radiation infrarouge
Troisième aménagement pour la maîtrise thermique : l’augmentation des surfaces rayonnantes lors des nuits claires. Suppression de la couverture du bac de culture, de la couverture des filtres et de la couverture du bassin à truites. Détournement du flux d’eau sur une surface supplémentaire de 5 m2 par m3 d’eau. Soit au total pour TA-500, 6.5 m2 transférant de l’énergie thermique vers un ciel froid, en configuration « nuit », contre 0 m2 en configuration « jour ». Ou dit autrement : « isoler un maximum le jour, exposer un maximum la nuit ».
La présence d’un masque occultant l’exposition du système à la voûte céleste diminue la performance du refroidissement radiatif. Mais couper les arbres, surtout ceux du voisin, ne serait pas raisonnable !!
Augmenter l’évaporation
La couverture de mousse contribue à augmenter l’évaporation. De même l’ouverture du coffre sur le bassin des truites.
Minimiser les transferts thermiques par convection
Il est possible de fermer le coffre au dessus du bassin à truites pour réduire l’effet du vent. Mais en contrepartie, on diminue également l’évaporation…. Autre aménagement possible : opter pour un biofiltre profond (n°7), en visant moins de 2m2 bac+filtres+bassin par m3 d’eau total.
Augmenter le transfert énergétique solaire en hiver
Quatrième aménagement pour la maîtrise thermique en hiver : installation d’une serre sur la zone de circulation de l’eau en lame mince, avec réflecteur incliné à 45° afin de renvoyer les rayons solaires vers la zone de circulation de l’eau . Efficace entre 11 H et 15 H, les jours d’hiver ensoleillés. De plus, un abri froid coiffe la zone de culture.
Le suivi des températures de l’eau en 2021, pour trois systèmes aquaponiques.
Le suivi de la température de l’eau en 2021 concerne trois bassins aquaponiques :
– TA_2400 : un bassin de 2 fois 1200 litres, enterré en plein air ( 3600 litres au total); 10 m2 de bac graviers sur 25 cm, posés sur le sol, sous serre, couplés. Régulation de la température par géothermie au delà de 23°C et en dessous de 8°C.
– TA_500 : un petit bassin de 500 litres, enterré en plein air ( 750 litres au total); 2 m2 de bac graviers sur 25 cm, posés sur le sol, en plein air; Refroidissement naturel nocturne au-dessus de 14°C . Réchauffement naturel diurne en dessous de 8°C. Ce système est doté des aménagements pour la maîtrise thermique décrits précédemment.
– TA_70 : un micro bassin de 70 litres, enterré en plein air (90 litres au total); 0.19 m2 de bac graviers sur 30 cm, enterré, en plein air. Pas de régulation de la température.
Trois autres sondes complètent le dispositif:
– SOL TA_500 : température du sol à 15 cm du bassin TA-500 et à -40 cm de profondeur
– T_ABRI : température sous abri mesurée sur site
– T_AMBIANT : température mesurée avec une sonde maintenue à l’ombre mais exposée au ciel.
Relevés de température
Le refroidissement naturel nocturne fonctionne. Mais jusqu’où? Une période caniculaire de 15 jours avec des maxima à 35-40 et des minima à 20-22 °C semble de plus en plus improbable en 2021 vu les prévisions météo pour les 15 premiers jours d’août. Il ne sera donc pas possible de tester, cette année, les limites d’un système aquaponique à refroidissement naturel nocturne. Il va falloir se contenter de modélisations en attendant 2022.
Bonjour,
Je me lance dans un système T’air eau mais j’envisage une extension dans un ou deux ans. L’électrovanne commande le couplage – découplage mais comment svp? Est-ce que le refroidissement adiabatique est réalisable sur un système enterré?
Votre site est une mine d’informations. Bravo pour votre maîtrise.
Bonjour Ludovic,
L’électrovanne utilisée a une entrée et deux sorties dont une normalement ouverte. L’activation de l’électrovanne ferme cette sortie normalement ouverte et ouvre la seconde sortie. L’activation est réalisée par un relais. Ce relais est piloté par un microcontrôleur arduino ou esp32, lequel analyse deux sondes de température: une située dans le bassin et une qui analyse la température de l’air ambiante. Lorsque les conditions de refroidissement sont présentes, le microcontrôleur active le relais.
Le refroidissement adiabatique simplifié (c’est à dire sans dispositif évaporant, simplement l’air passant sur l’eau en lame mince de quelques cm) sur un système T’air eau n’a pas encore été testé. Cela suppose de configurer le couvercle pour injecter l’air d’un côté et le rejeter de l’autre côté. Le refroidissement est dépendant de la surface d’évaporation au regard de la quantité d’eau à refroidir. Le ratio 1.25 m2/m3 d’eau fonctionne. Sur T’air eau, on va se situer autour de 0.8 m2 de surface d’eau pour environ 650 litre d’eau totale. ce qui fait un ratio de 1.23, identique aux systèmes que j’ai testé. Donc, à priori, ça doit être faisable.
Bonjour Jean-Claude,
Merci pour ton excellent blog et cette accumulation de connaissances et d’expérience. Une vrai richesse pour ceux qui arrivent et s’intéresse à cette technique.
2022 et 2023 ont donné des été avec des bonnes chaleurs. Peux tu nous donner un retour sur ton système de refroidissement ?
Bonjour Quentin,
En 2023 j’ai testé une nouvelle méthode de refroidissement avec le froid évaporatif installée sur un système hors sol. Je n’ai pas encore publié sur le blog, juste sur Facebook (voir ce lien et les commentaires associés). Le bilan des deux années est le suivant:
– le refroidissement par géocooling a fonctionné avec un maintien de la température de l’eau en dessous de 21°. Mais le fonctionnement de la pompe du puits a été intense (20 jours cette année, 30 jours l’an dernier). Ce qui en fait un système moyennement économe en énergie.
– le refroidissement radiatif a bien fonctionné en 2022, avec une température de l’eau qui est restée en deçà de 21°, et cette année en deçà de 22°. C’est toutefois une solution que je ne préconiserai pas car trop sensible à la couverture nuageuse du ciel la nuit. Pa ailleurs, elle consomme de l’espace pour installer la surface de refroidissement annexe, laquelle a tendance à se salir en collectant feuilles et poussières.
– le refroidissement adiabatique (par évaporation) a très bien fonctionné en 2023 avec une température de l’eau restée en dessous de 19°. Et avec une consommation électrique très faible (8 watts seulement en puissance du refroidisseur). Et avec un système hors sol! Ce système est exposé aux nuits chaudes et humides, mais c’est moins fréquent que les nuits couvertes pour le système radiatif. C’est cette voie qu’il faut explorer et améliorer pour refroidir a faible coût.
Je vois seulement maintenant que vos bacs ont des parois en polycarbonate , ceci permet-il le passage suffisant de la lumière pour respecter ce cycle ?
Oui, le bassin du TA_500 est surmonté d’un coffrage en polycarbonate, ce qui n’est pas le cas du TA_2400. Je veux pouvoir tester une longue période de fermeture totale tout en assurant la fourniture de lumière suffisante. En été, lors de journées très chaudes, la fermeture totale entraîne une légère augmentation de la température de l’air à l’intérieur du coffre. Reste à voir ce qui se passe en période froide. Et aussi en isolant correctement les côtés hormis la face nord.
Bonjour
Je vous suis depuis un moment et vous félicite pour votre travail.. c’est super intéressant.
Je suis sur un projet identique en m inspirant de votre expérience. Par contre, selon vos explications, je constate que le cycle de lumière naturelle n’est pas possible pour les poissons, vu la fermeture des bacs pendant la journée ! Ai-je loupé une explication ou vous n’en tenez pas compte ?
Bonjour, les couvercles occultants des bassins ne sont jamais totalement fermés, sauf pour des test de comportement thermique. Ils restent entrebâillés le jour d’une trentaine de centimètres, ce qui fournit largement la lumière dont les poissons ont besoin.
Je n ai pas compris pourquoi ce n est pas possible de faires cette verfication en periode de canicule 35.40 en journe 20 .22 en soire de verfier l efficacite de refroidissement radiatifc estc est justement a cette periode qu il est tres interessant.
Oui, c’est bien ce que j’ai écrit. J’ai besoin d’une telle période. Or actuellement il fait 21-25 le jour et 15-17 la nuit depuis plus d’un mois et ce n’est pas près de changer vu les prévisions à 15 jours. Or, on arrive fin août…une période de canicule est toujours possible en septembre mais hautement improbable.