Le démarrage et le cyclage d’un système aquaponique demandent de la patience, de l’observation et de la douceur. C’est d’autant plus important si le système héberge des salmonidés.
Le « cyclage », acte pionnier pour le démarrage du système
Par cyclage, entendons l’installation de tous les cycles chimiques et biologiques nécessaires au bon fonctionnement d’une installation aquaponique. C’est une vision plus large du contenu habituel du concept. En effet, le plus souvent le cyclage est associé à la nitrification de l’azote ammoniacal, et plus largement au cycle de l’azote. Ici, il est question de nitrification et aussi de décomposition, de minéralisation et de mycorhisation.
Les modalités du cyclage azoté
Le cyclage « azoté » consiste à installer les populations de bactéries qui vont assurer la nitrification de l’azote ammoniacal. Les plus connues sont Nitrosomonas qui assure la nitritation, avec le passage de l’ion ammonium (NH4+) en nitrites (NO2–). Puis Nitrobacter prend en charge la nitratation pour transformer les nitrites en nitrates(NO3–). Selon Pierre Foucard et Aurélien Tocqueville ( Aquaponie, Associer aquaculture et production végétale, Quae, 2019, pages 55; 100-103), de nombreuses autres espèces de bactéries peuvent intervenir dans le processus de nitrification. Ces populations de bactéries peuvent d’ailleurs évoluer dans le temps pour s’adapter aux conditions du biotope.
Dès lors, comment installer ces populations bactériennes dans une installation aquaponique neuve? Il existe de nombreuses méthodes. Certains cyclent directement avec les poissons en place. D’autres ensemencent le substrat avec des souches bactériennes achetées dans le commerce. Pour ma part j’ajoute régulièrement de l’ammoniaque avant l’introduction des truites. A raison d’une dose de 5 à 10 ml d’ammoniaque dosée à 22 %, par m3 d’eau totale du système et par jour. Ceci pour simuler l’excrétion journalière des poissons sur la base de 1 à 2 ppm (10-6) de NH4+. Les bandelettes tests permettent de suivre l’apparition du pic de nitrites, puis celui du pic de nitrates. Ce dernier pic permet l’introduction des truites qui vont prendre le relais pour nourrir les bactéries. Le cyclage peut se réaliser en 1 mois en période chaude et prendre 4 mois en hiver. L’ensemencement avec des supports prélevés dans un autre système aquaponique accélère le processus. En procédant ainsi avec méthode, il n’y a aucune souffrance ni aucune perte de truites à l’introduction, sous réserve d’éviter les chocs thermiques.
Le cyclage pour la minéralisation de la matière organique
La minéralisation de la matière organique fournit phosphore et autres nutriments. Elle nécessite beaucoup d’oxygène et des bactéries spécifiques. Les bactéries qui prennent en charge la minéralisation de la matière organique prennent plus de temps pour s’installer. Parfois jusqu’à un an et sous réserve d’avoir une aération maximale de l’eau, prenant en compte les besoins des bactéries hétérotrophes.
La boîte noire
Ce qui se passe dans le substrat nous est complètement invisible. Il faut imaginer les très nombreuses populations de bactéries en compétition entres elles, ou en synergie, évoluant au gré des conditions de milieu. S’y rajoutent d’autres organismes, de manière spontanée ou bien suite à une introduction volontaire. Ces champignons, protozoaires, crustacés, insectes, vers, interviennent dans la minéralisation de la matière organique, la mycorhization des racines des plantes, et la décomposition des végétaux morts. Ils prennent également beaucoup de temps pour coloniser le milieu. Tout ces organismes vivants interagissent à l’intérieure d’une boîte noire, pour l’instant encore assez hermétique quant à son fonctionnement. C’est un champ de recherche prometteur pour comprendre les mécanismes en jeu. Puis dans un second temps , pouvoir agir pour obtenir le meilleur équilibre dès la phase de démarrage.
L’importance de l’observation pour le pilotage de l’alimentation, pendant la phase de démarrage .
La truite arc en ciel exprime son mal-être bien avant de trépasser. Vu du dessus, la truite arc en ciel est plutôt sombre avec des flancs d’une couleur uniforme. En situation de stress, la couleur des flancs va se modifier avec l’apparition de zones plus claires. marbrées, aux contours irréguliers. Au départ, cela ne concerne que quelques individus, souvent les plus développés. L’observation de ce changement doit entraîner une recherche des causes : problème de pompe à air, problème de débit d’eau circulante, problème de putréfaction (truite, crapaud,…) dans le bassin, problème de stagnation des boues dans le bassin, problème de cyclage, problème de surdensité, …
Cas concret sur le démarrage du bassin de 500 litres
Voici un exemple vécu au démarrage du bassin de 500 litres. Introduction des truitelles achetées en pisciculture ou issues de la reproduction de janvier 2020. Au nombre de 89 au total, pour un poids de 5.5 kg. Soit une densité de 11 kg par m3 d’eau. C’est une densité modérée car le système est prévu pour accueillir au moins 20 kg au m3 en fin d’été. L’alimentation apportée dans ce bassin de 500 litres, en fin d’été, pour 10 kg de truites de 700 grammes, est égale à 0.7% de la masse totale. Ce qui correspond à 70 g d’un aliment à 40% de protéines. Soit 28 g de protéines par jour qui produisent des déchets ammoniacaux traités sans problème par les populations de bactéries estivales bien installées.
Revenons aux 5.5 kg de truitelles. Lorsque l’eau était à 12°, elles engloutissaient 2% de leur poids vif en aliment à 45% de protéines. Ce qui donne 5500 g x 0.02 x 0.45 = 49 g de protéines. Or le système juste cyclé en période hivernale n’était pas capable de traiter les rejets ammoniacaux correspondant à ces 49 g de protéines, soit 1.8 fois la quantité traitée au maximum en plein été. Résultats : des décolorations bien visibles sur 25% des truitelles. Les truitelles ont donc été rationnées à 50 g en attendant de rejoindre les bassins de grossissement dans un mois. Les décolorations ont disparu suite à cet ajustement.
Patience, observations et douceur!
Cet exemple montre que c’est la quantité de protéine distribuée par jour qui est la clé de compréhension du fonctionnement du système. Pas le nombre de truites, ni même le poids de truites au m3 d’eau du bassin. Par ailleurs, il est important de démarrer avec une quantité de poisson nettement inférieure au potentiel du système, pour laisser s’installer tranquillement tous les cycles nécessaires pour une aquaponie équilibrée.
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